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Il y a 90 ans, la «Marche du sel»: le message de Gandhi à l’épreuve du nationalisme hindo

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L’Inde commémore, ce 12 mars 2020, le 90e anniversaire de la « Marche du sel » emmenée par Gandhi, qui constitue une étape importante vers l’accession à l’indépendance de ce pays en 1947. Suivie par la presse indienne et internationale, cette campagne à travers l’Inde rurale, longue de 25 jours, avait en son temps saisi l’imagination du monde. À l’occasion de l’anniversaire de la marche, l’arrière-petit-fils du « mahatma » (la grande âme) a décidé de marcher sur les pas de son ancêtre afin de rappeler aux Indiens le message de non-violence et d’unité de son aïeul.

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C’est à partir de son lieu de retraite (l’ashram de Sabarmati), à Ahmedabad, métropole de l’ouest-indien où Gandhi s’était installé après son retour d’Afrique du Sud, qu’est partie la Marche du sel à l’aube du 12 mars 1930, il y a 90 ans jour pour jour. Cette marche réunissait autour du futur père de l’indépendance indienne, soixante-dix-neuf de ses compagnons de lutte. La petite bourgade de Dandi au bord de l’océan, à quelque 386 kilomètres, était la destination de ces marcheurs pas comme les autres, qui se proposaient de ramasser du sel dans la mer d’Arabie. Ils voulaient ainsi faire pression sur le gouvernement par des moyens non-violents pour le pousser à abroger la taxe inique sur le sel qui pesait lourdement sur la vaste majorité sans ressource de la population indienne. Le projet avait fait doucement ricaner les Anglais et même dans les rangs du parti du Congrès dont Gandhi était une figure majeure. Les adversaires comme les amis du leader indien ne voyaient pas comment ce mouvement de protestation qui se déroulait loin de la capitale politique (New Delhi) ou économique (Bombay) du pays, pouvait ébranler le pouvoir britannique. Craignant que leur chef de file sexagénaire ni ses compagnons ne puissent même pas aller jusqu’au bout de leur aventure, les organisateurs avaient prévu des chariots et des chevaux. Mais c’était sans compter avec la détermination et le courage qui animaient les marcheurs gandhiens.

Ces derniers n’ont d’ailleurs pas eu besoin ni de chevaux ni de chariots. Vingt-cinq jours de marche à pied à un rythme soutenu de 17 kilomètres par jour en moyenne leur ont suffi pour atteindre leur destination. Leur cortège a grossi chemin faisant. Partis à quatre-vingts, ils sont arrivés à des milliers au bord de la mer. La suite fait partie de la légende de Gandhi, entrée désormais dans les livres d’histoire de la planète.

L’idée de l’Inde

« C’est cet esprit de détermination et d’enthousiasme face à un pouvoir autoritaire, qui avait fait tomber les obstacles les plus formidables, que je voudrais convoquer », explique Tushar Gandhi, l’arrière-petit-fils du père de la nation indienne, qui marche à la tête d’un cortège d’une petite dizaine de personnes commémorant la manifestation historique d’il y a 90 ans. Tushar Gandhi qui a aujourd’hui l’âge de son célèbre ancêtre au moment de la marche, est un activiste reconnu, qui a abandonné sa carrière professionnelle pour se consacrer au militantisme afin de faire vivre les idéaux de la vérité, de la laïcité et de la non-violence chers à Gandhi. Il avait déjà participé, en 2005,  à la marche commémorative des 75 ans qui avait réuni une centaine de personnes, dont les leaders du parti du Congrès au pouvoir à l’époque à New Delhi.

Les temps ont changé depuis, avec l’arrivée au pouvoir en 2014 des nationalistes hindous qui étaient les adversaires de Gandhi de son vivant. Nathuram Godse, l’assassin du père de la nation, était issu de leurs rangs. Qui plus est, Godse était proche de l’idéologue du mouvement hindouiste, V.D. Savarkar, dont la vision d’une Inde dominée par la majorité hindoue est la source d’inspiration du gouvernement de Narendra Modi.

« L’idée d’une Inde démocratique et plurielle où majorité et minorités cohabitent et jouissent des mêmes droits est le principal héritage du mouvement d’indépendance indien », affirme Tushar Gandhi. « C’est parce que cette idée est aujourd’hui mise à mal, explique-t-il, que j’ai décidé de retracer le parcours qu’avaient effectué Gandhi et ses compagnons il y a 90 ans, avec l’espoir de convaincre mes concitoyens de la nécessité de garder vivace leur message de non-violence et d’harmonie communautaire sur lequel est fondée notre Constitution. »

Enjeux politiques et spirituels

Auréolé de ses succès dans les luttes non violentes contre la discrimination raciale en Afrique du Sud où il avait passé vingt-deux années de sa vie, le mahatma était revenu en Inde en 1915. Il a rejoint le parti du Congrès, composé alors d’une élite intellectuelle et d’hommes d’affaires, engagé dans un combat corporatiste contre le pouvoir colonial britannique. Sous l’égide de Gandhi, le parti s’est transformé en un véritable mouvement populaire et panindien de résistance contre la colonisation.

Devenu le dirigeant exécutif de sa formation à partir de 1921, le nouveau leader lança des mouvements de boycotts et de grèves, sans réussir pour autant à obtenir de la part des autorités britanniques des engagements concrets pour reconnaître à l’Inde la souveraineté partielle. Le Congrès réclamait à cor et à cri le statut de dominion et faisait pression sur son leader pour engager la bataille.

La Marche du sel sera la réponse de Gandhi. Minutieusement préparée dans le secret de son ashram avec seulement ses plus proches compagnons de lutte mis en confidence, cette campagne contre la loi salière que Gandhi lance le 12 mars 1930 est sa première action de désobéissance civile totalement réussie. C’était une idée de génie d’avoir fait du sel un symbole politique de contestation de l’oppression coloniale. C’est exactement ce que réussit à faire le leader indien lorsqu’après avoir marché vingt-cinq jours durant, il se rendit sur la plage de Dandi le 6 avril 1930, et en contravention de la loi, ramassa une poignée de sel abandonnée par les vagues. «  Aujourd’hui, tout l’honneur de l’Inde est symbolisé par une poignée de sel dans la main des résistants non violents. Le poing qui tient ce sel peut être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement  », proclamera la Grande âme.

Pour les historiens du mouvement de la résistance indienne, le succès de l’opération gandhienne se mesure à la forte mobilisation que cette marche avait suscitée à travers tout le pays, à l’engagement massif des femmes et le pacifisme résolu des Indiens face à la répression brutale du gouvernement. Ceux qui ont vu le biopic de Richard Attenborough consacré à Gandhi se souviennent de la scène saisissante devant l’usine de sel de Dharsana où était stocké tout le sel de Dandi récolté par le gouvernement et ses agents. Devant l’usine, plusieurs milliers de volontaires sans armes affrontent les quatre cents policiers qui gardent l’usine. Ils sont frappés brutalement, mais formés à la méthode de la non-violence, ils se laissent faire sans réagir. Dès qu’une rangée est à terre, une autre prend la relève. Une scène hallucinante et épique.